Mathieu Jahnich vient de terminer la co-rédaction du Guide 2022 de l’Ademe sur la communication responsable. Consultant-chercheur indépendant et enseignant à Sciences Po, il interroge depuis plus de 20 ans l’alignement de la communication et du marketing avec les enjeux de transition écologique et solidaire. Tourné vers l’action, il accompagne les marques et les entreprises dans la mise en œuvre concrète de leur stratégie de communication « éco-socio-responsable ».
Rencontre avec cet « expert terrain » passionné qui sait fait bouger les lignes au quotidien.
« Consultant-chercheur en communication responsable » peux-tu nous en dire un peu plus sur cet intitulé de poste exotique ?
J’aide les entreprises et les organisations à répondre aux attentes sociétales et à relever les défis de la transition écologique et solidaire grâce à une communication plus responsable. Titulaire d’un doctorat en communication, cet intitulé de « consultant-chercheur » vise à souligner le fait que je suis capable de prendre le recul nécessaire pour analyser finement les enjeux de l’entreprise et les attentes des parties-prenantes et de formuler des recommandations concrètes, utiles et adaptées à la réalité du terrain.
As-tu en stock quelques arguments massue pour expliquer aux entreprises/marques qu’éco-communiquer c’est avant tout créer de la valeur (pour tous) et booster leur business ?
En s’engageant résolument en faveur d’une communication plus responsable, les marques peuvent :
- Renforcer la crédibilité de leurs messages et consolider la relation de confiance avec leurs publics et plus largement ses parties prenantes.
- Mettre la puissance de la communication (à travers ses outils, sa créativité) au service de la transformation de leur modèle d’affaires et du déploiement de leur stratégie de responsabilité.
- Limiter les risques d’accusations de greenwashing sur les réseaux sociaux mais aussi devant les tribunaux.
- Permettre aux équipes communication et marketing de retrouver davantage de sens dans leur activité, en particulier pour les personnes déjà sensibilisées et engagées.
Tu viens d’achever la rédaction du guide de la communication responsable de l’Ademe. Quel conseil donnerais-tu au communicant qui veut le mettre en œuvre au quotidien ?
Avec Valérie Martin et Thierry Libaert, nous avons conçu ce guide comme un ouvrage de référence, à destination de l’ensemble des acteurs de la filière communication. Une personne déjà engagée en communication responsable pourra y trouver des pistes et des ressources pour aller encore plus loin, tant sur le plan des messages (lutte contre le greenwashing et les stéréotypes, promotion de nouveaux récits) que sur l’éco-socio-conception des actions de communication ou sur l’animation de la démarche à l’échelle d’une direction de la communication.
Le guide s’adresse aussi aux personnes qui ne comprennent pas encore très bien ce que recouvre le concept de communication responsable et pourquoi la transformation de notre activité est indispensable pour réduire les externalités négatives de nos activités mais aussi pour contribuer à accompagner le changement vers une société plus soutenable et plus juste. Pour cela, nous y présentons les enjeux et les controverses, les définitions et les principaux référentiels, nous partageons de nombreuses bonnes pratiques et des avis d’experts.
Le contenu texte a-t-il une place prépondérante dans l’éco-conception ? Peux-tu nous donner des exemples qui vont au-delà de la définition des messages pour aller sur une application très opérationnelle ?
En effet, on met souvent l’accent sur les enjeux de lutte contre le greenwashing mais il ne faut pas oublier les autres dimensions d’un contenu plus responsable :
- Créer de nouveaux récits inspirants et mobilisateurs pour contrer les récits consuméristes et de l’effondrement et participer activement à l’émergence de nouveaux imaginaires plus compatibles avec la transition.
- Lutter contre les stéréotypes discriminants ou culpabilisants (la femme jeune, belle et mince, la « ménagère de moins de 50 ans », l’homme viril, sportif et sûr de lui, la « blonde », le jeune de banlieue black ou beur qui écoute du rap et qui porte un sweat à capuche, etc.) et les stéréotypes de modes de vie, incompatibles avec les limites planétaires (la personne seule dans sa voiture, le rêve de la maison individuelle avec jardin, les vacances à l’autre bout du monde, la cuisine suréquipée…).
- Contribuer à la sobriété éditoriale : se concentrer sur les besoins en information des lecteurs afin de réduire les publications inutiles et répondre à leur demande de la manière la plus efficace possible afin de solliciter le moins de ressources et de données possible.
Toi, personnellement, comment es-tu arrivé à resserrer ta carrière autour de la communication responsable ?
J’ai découvert ce domaine en 1999 au début de mes études doctorales. Sur la thématique de la qualité de l’air en milieu urbain, j’ai analysé le traitement médiatique (le « bruit de fond » et les alertes en cas de pic de pollution), les prises de parole d’associations environnementales, le discours techno-solutionniste des constructeurs automobiles (le pot catalytique et le filtre à particules étaient présentés comme les « solutions » à la pollution de l’air), la complexité des perceptions du public et l’écart entre les perceptions et les comportements. J’ai trouvé cela passionnant et j’ai petit à petit élargi mon expertise aux autres enjeux écologiques et à la responsabilité même de la filière communication dans la transition écologique. J’ai ouvert un blog en 2005 pour partager des ressources et mes réflexions sur le sujet et j’ai démarré mes activités de conseil en 2012, avec une première mission auprès de l’ADEME.
Quelle formation recommanderais-tu à un directeur d’agence qui veut former ses équipes ?
Ces deux dernières années, j’ai eu l’occasion de former les équipes de plusieurs agences de communication et directions marketing et communication dans de grandes entreprises et organisations. Le format qui donne les meilleurs résultats comporte trois séquences :
- Une présentation et une discussion sur les grands enjeux écologiques : le climat bien sûr, mais aussi la biodiversité, les ressources naturelles, les enjeux santé et environnement, la précarité… Cela permet de partager les informations essentielles, de comprendre pourquoi notre modèle actuel est défaillant et pourquoi il y a urgence à le transformer.
- Un panorama des concepts et pratiques de communication plus responsable : la définition, les référentiels existants, les différents leviers d’action sur le volet message (greenwashing, stéréotypes, récits) et sur le volet éco-socio-conception (print, numérique, événementiel, vidéo…), les retours d’expériences d’autres acteurs…
- Enfin, des ateliers pratiques pour co-construire un plan d’actions adapté à la réalité de l’activité de l’agence et aligné avec les motivations et les moyens de l’équipe : une charte anti-greenwashing, un guide pratique d’éco-socio-conception des outils, une banque d’exemples inspirants…